mysha

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Mercredi 2 juin 2010 à 23:07

2010

Je m’appelle Cybèle De Duras, je suis née en 1680 à Versailles alors que la France était encore sous le règne de Louis XIV et pourtant j’ai toujours 19 ans. La raison ? Je suis morte il y a quelques centaines d’années, dans les bras de mon premier amour.

Si j’ai appris une chose au cours de ces  311 ans c’est que l'on s’ennuie vite, et tristement qu’on finit par s’ennuyer de tout.

Des gens naissent et meurent tous les jours, des potentielles futures victimes pour les premiers. Sur une moyenne de 159 000 décès chaque jour dans le monde combien devraient-ils être imputés à mon espèce ?

On parle souvent des inconvénients de l’immortalité, beaucoup voient cela comme une malédiction, voir leurs proches mourir les uns après les autres leur semble intolérable.

Nous sommes décrits comme sans âme, nécessairement violents et immoraux.

La partie authentique de cette croyance est qu’en tant qu’être à la fois immortel et qui plus est doté de pouvoirs surnaturels nous n’avons généralement plus autant de compassion ou de moralité que de notre vivant. Je dois avouer que sujets à des pulsions beaucoup plus intenses et bestiales il est parfois difficile de rester maitre de soi, une simple altercation se transforme fréquemment en bain de sang.

Si demain vous aviez les pouvoirs d’un dieu à savoir décider de la vie et de la mort des gens sans avoir à en répondre, ne seriez vous pas tenté d’en profiter ? Voire d’en abuser.

Petites précisions, je ne crois pas en Dieu et quand bien même il existerait  je ne pense pas que nous ayons grand chose à nous dire si ce n’est une potentielle discussion autour de l’amoralité de mon espèce et de ses habitudes alimentaires. Je peux donc rentrer dans une église impunément ou manipuler un crucifix sans craindre une quelconque brulure divine.  Je n’ai pas encore testé l’eau bénite, je penserai à m’en asperger à l’occasion…

Les miroirs me renvoient l’image d’une jeune femme au visage doux mais froid, à la peau blanche comme l’albâtre contrastant avec des lèvres charnues framboise. Ses cheveux longs sont d’un blond vénitien profondément nuancé ses yeux turquoise ne manquent pas d’expressivité et trahissent régulièrement ses émotions et désirs. La faim ou la colère notamment l’électrisent et rendent son apparence encore plus singulière, elles emplissent son regard de reflets étincelants. Cette femme c’est moi.

Je pourrais discourir à propos de mes facultés surnaturelles comme ma métamorphose animale ou ma rapidité incontestablement surnaturelle, mais cela reviendrait à éluder une partie fondamentale des événements.

Toute histoire a un commencement.

 

 

1699

Je ne trouvais pas le sommeil, mes pensées me tenaient éveillées, la fièvre m’accablait depuis des jours.

Sortir au milieu de la nuit n’était pas une chose raisonnable, mais peut importe. Je me glissai discrètement à  l’extérieur du domicile familial qui était sous l’influence de Morphée.

Je n’avais pas froid, je ne savais pas, si c’était la fièvre ou si la température était vraiment agréable. Mes yeux étaient subjugués par la beauté de la lune. Je décidai d’emprunter le chemin qui menait au lac dans l’espoir de contempler un peu plus la beauté de l’astre se reflétant dans l’eau.

Le silence donnait toute sa mesure à ce lieu d’une quiétude absolue. Epuisée par cette balade nocturne je décidais de m’asseoir sur la berge, adossée à un chêne centenaire. Garder les yeux ouverts devenait une épreuve. Après une lutte acharnée je finis par rendre les armes et succombai au sommeil.

Mes rêves me transportèrent dans un monde que je ne connaissais pas; on y parlait latin. Une villa aux caractéristiques étonnantes s’étendait autour de moi. Tel un esprit j’étais présente sans être de chaire et d’os, les protagonistes passaient au travers de mon corps sans noter ma présence. Celle qui semblait être la maitresse de maison parlait à ce que je prenais pour des esclaves, leur donnant des recommandations dans le but de préparatifs festifs.

J’aperçus un jeune homme d’une quinzaine d’années, plutôt grand et solide mais au teint aussi pâle, si ce n’était plus, que le mien. Ses yeux étaient d’un bleu étonnant, pas un bleu clair commun, mais bleu comme l’océan; profond et énigmatique. Sa chevelure noire de geais contrastait parfaitement avec la pâleur de son visage et la beauté de son regard. Il portait une toge blanche Je restais stupéfaite par cette beauté si singulière, quelqu’un l’appela «  Titus Junius Livius ».

Soudain une ombre passa, devant mon visage et c’est en sursaut que je m’éveillai, j’aperçus sur la rive opposée ce qui semblait être une silhouette.

Persuadée que c’était la maladie qui me donnait des hallucinations je fermais les yeux, secouai la tête avec vigueur, dans l’espoir de remettre en place ce qui doit l’être, et regardai à nouveau de l’autre coté du lac, où je ne vis rien.

 

Mercredi 9 juin 2010 à 1:51

-  Mademoiselle Cybèle, il est grand temps de vous lever, que va dire votre père…

Le réveil fut douloureux, la fièvre m’assaillait déjà et je n’avais aucun souvenir de la façon ni du moment où j’étais rentrée. Je ne parlais à personne de ma condition, de peur que l’on m’envoie mourir loin de tout par crainte de la contagion, loin de la vie au milieu d’âmes déchirées par les maladies les plus vicieuses qui règnent dans les hospices. 

Je toussais et parfois du sang s’échappait de ma bouche. Etant instruite je savais qu’il ne me restait plus beaucoup de temps, bientôt je serais incapable de cacher le poison s’insinuant chaque jour un peu plus dans mon corps fébrile. Bientôt mon corps serait froid, sous terre parmi  les anciens, on fleurirait ma tombe, pour entretenir mon souvenir et apaiser mon âme. Malgré la conscience de mon destin funeste je ne pouvais sortir ce jeune homme de ma tête. Son image s’imposait à mes yeux comme le soleil s’impose à la lune quand vient l’aube.

L’arrivée de mon père m’obligea à sortir de mon état contemplatif :

- Cybèle, vendredi soir un bal est donné par le Grand Dauphin ; tâchez de trouver une robe digne de l’évènement et de faire honneur à notre nom.

- Oui père …

Il y avait toujours cette autorité naturelle chez lui qui se dégageait autant de son physique solide que de ses attitudes rigides. Mon père était avant tout un homme droit et sérieux, montrant peu ses émotions et encore moins son affection. Exigeant, bien que peu présent, il n’aimait pas que l’on traine au lit, ni que l’on se pose trop de questions ; c’était un homme très concret. A la mort de ma mère, alors que je n’étais encore qu’une enfant, il avait trouvé refuge dans la gestion de ses affaires et fut dès lors souvent absent. Mère dont je n’arrivais plus vraiment à me rappeler les traits ni même le caractère. Mon indifférence en quasi toutes circonstances et mon coté solitaire étaient surement symptomatiques de ce climat familiale.

  Un des meilleurs tailleurs de Paris vint, à la demande de mon père, me proposer ses services et conseils dans le choix d’une tenue adaptée pour me rendre aux festivités organisées par le Roi. La tache se révéla ardue puisque je refusais de me soumettre aux propositions du tailleur qui, selon moi, manquait cruellement de retenue. J’optais finalement pour une robe cobalt et albâtre à corsage cintrée en soie et satin. Je n’étais pas une adepte de la légèreté et de l’excès, le corset soulignait simplement ma taille. Je ne me rendais pas à une fête royale pour me faire remarquer comme étant une jeune femme indécente.

Pour ce qui était de mes cheveux, ma servante Marie prit soin de les boucler et d’y ajouter des rubans assortis à ma robe. Je ne portais jamais de perruque, je trouvais beaucoup plus de charme et d’esthétique au naturel et certainement moins d’inconfort. Un collier de perles agrémentait ma tenue et un maquillage un peu plus soutenu qu’à l’habitude masquait le trouble qui m’accablait.

Aller au château de Versailles était toujours pour moi une source de félicité : cet édifice était éblouissant autant par son architecture que par ses jardins et plus encore pour tous les trésors culturels et historiques dont-il regorgeait.

Chaque visite au château était une occasion d’admirer les tableaux de maîtres, la bibliothèque, les sculptures. Je remarquais à peine les convives que  je saluais avec hâte. Le mot lumière prenait tout son sens à Versailles, parmi tous ses lustres en cascades de cristal et l’or que l’on trouvait partout.

 Au cours de la soirée, une fois de plus je suffoquais. Je pris garde de ne pas attirer l’attention et me retirai dans les jardins pour marcher le temps que la crise s’apaise. La végétation était à la fois luxuriante et surprenante, certaines espèces insolites provenaient incontestablement d’ailleurs. Le labyrinthe végétal qui s’étendait devant moi m’inspirant à la fois envie et curiosité, je décidai de m’y perdre un moment. Entre les imposantes haies je me sentais comme une enfant prise au piège entre deux imposants géants se rapprochant inexorablement. L’appréhension grandissait en moi, la sensation d’être suivie, je pressai le pas. Je pris à gauche puis à droite et encore une fois à droite. Je persistais à ressentir cette sensation d’être traquée et l’anxiété qui grandissait en moi ne m’aidait pas à respirer plus aisément, bien au contraire.

Prise d’un vertige je défaillis, mon champ de vision s’obscurcit et mes jambes  m’abandonnèrent. Mais avant que je n’atteigne le sol, une main rattrapa la mienne. Je réussis de justesse à étouffer un cri de surprise mêlée d’effroi.

Il était là, devant moi, le jeune homme de mon rêve. Impossible de réagir ou de simplement penser,  j’étais  tellement abasourdie que j’en oubliai de le remercier. Embarrassée je m’empressai de soustraire ma main à l’emprise de la sienne.

 - J’espère que vous allez bien mademoiselle. Je me présente, Henri D’Abancourt.

- Enchantée, je suis Cybèle De Duras.

- Vous semblez troublée. S’amusa t-il.

- Un peu, oui. Puis-je vous demander votre âge ? Vous semblez si jeune et à la fois si… mature.

- Mon âge ? s’étonna t-il. Sachez mademoiselle que l’âge, pour quelqu’un tel que moi, n’est que le reflet de peu de choses.

Avant que je n’aie le temps de protester, de répondre ou même de penser à ce que je devrais dire, il continua.

- Venez, je vais vous raccompagner à votre voiture, il faut songer à vous reposer. 

Son sourire contrastait avec ses paroles ; il avait quelque chose de taquin, presque mesquin. Ses yeux brillaient avec une intensité hors du commun, tels des puits lumineux dont on n’arrivait ni à s’extirper ni à distinguer le fond, comme si son âme était trop complexe et sinueuse pour qu’on soit en mesure d’en capter l’essence.

Il avait semble-t’il décrété que mon état nécessitait qu’il me tienne le bras. Bras dont il s’était emparé avec fougue une fois de plus sans permission. Je n’avais pas eu assez de constance pour le repousser à nouveau. Mon cœur bondissait frénétiquement dans ma poitrine. Le contact de sa main sur mon bras me donnait une étrange sensation d’échauffement, des frissons me parcouraient. Trop concentrée sur ce frôlement, j’étais incapable de tenir une conversation.

Mardi 20 juillet 2010 à 3:15

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Cybèle De Duras

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