2010
Je m’appelle Cybèle De Duras, je suis née en 1680 à Versailles alors que la France était encore sous le règne de Louis XIV et pourtant j’ai toujours 19 ans. La raison ? Je suis morte il y a quelques centaines d’années, dans les bras de mon premier amour.
Si j’ai appris une chose au cours de ces 311 ans c’est que l'on s’ennuie vite, et tristement qu’on finit par s’ennuyer de tout.
Des gens naissent et meurent tous les jours, des potentielles futures victimes pour les premiers. Sur une moyenne de 159 000 décès chaque jour dans le monde combien devraient-ils être imputés à mon espèce ?
On parle souvent des inconvénients de l’immortalité, beaucoup voient cela comme une malédiction, voir leurs proches mourir les uns après les autres leur semble intolérable.
Nous sommes décrits comme sans âme, nécessairement violents et immoraux.
La partie authentique de cette croyance est qu’en tant qu’être à la fois immortel et qui plus est doté de pouvoirs surnaturels nous n’avons généralement plus autant de compassion ou de moralité que de notre vivant. Je dois avouer que sujets à des pulsions beaucoup plus intenses et bestiales il est parfois difficile de rester maitre de soi, une simple altercation se transforme fréquemment en bain de sang.
Si demain vous aviez les pouvoirs d’un dieu à savoir décider de la vie et de la mort des gens sans avoir à en répondre, ne seriez vous pas tenté d’en profiter ? Voire d’en abuser.
Petites précisions, je ne crois pas en Dieu et quand bien même il existerait je ne pense pas que nous ayons grand chose à nous dire si ce n’est une potentielle discussion autour de l’amoralité de mon espèce et de ses habitudes alimentaires. Je peux donc rentrer dans une église impunément ou manipuler un crucifix sans craindre une quelconque brulure divine. Je n’ai pas encore testé l’eau bénite, je penserai à m’en asperger à l’occasion…
Les miroirs me renvoient l’image d’une jeune femme au visage doux mais froid, à la peau blanche comme l’albâtre contrastant avec des lèvres charnues framboise. Ses cheveux longs sont d’un blond vénitien profondément nuancé ses yeux turquoise ne manquent pas d’expressivité et trahissent régulièrement ses émotions et désirs. La faim ou la colère notamment l’électrisent et rendent son apparence encore plus singulière, elles emplissent son regard de reflets étincelants. Cette femme c’est moi.
Je pourrais discourir à propos de mes facultés surnaturelles comme ma métamorphose animale ou ma rapidité incontestablement surnaturelle, mais cela reviendrait à éluder une partie fondamentale des événements.
Toute histoire a un commencement.
1699
Je ne trouvais pas le sommeil, mes pensées me tenaient éveillées, la fièvre m’accablait depuis des jours.
Sortir au milieu de la nuit n’était pas une chose raisonnable, mais peut importe. Je me glissai discrètement à l’extérieur du domicile familial qui était sous l’influence de Morphée.
Je n’avais pas froid, je ne savais pas, si c’était la fièvre ou si la température était vraiment agréable. Mes yeux étaient subjugués par la beauté de la lune. Je décidai d’emprunter le chemin qui menait au lac dans l’espoir de contempler un peu plus la beauté de l’astre se reflétant dans l’eau.
Le silence donnait toute sa mesure à ce lieu d’une quiétude absolue. Epuisée par cette balade nocturne je décidais de m’asseoir sur la berge, adossée à un chêne centenaire. Garder les yeux ouverts devenait une épreuve. Après une lutte acharnée je finis par rendre les armes et succombai au sommeil.
Mes rêves me transportèrent dans un monde que je ne connaissais pas; on y parlait latin. Une villa aux caractéristiques étonnantes s’étendait autour de moi. Tel un esprit j’étais présente sans être de chaire et d’os, les protagonistes passaient au travers de mon corps sans noter ma présence. Celle qui semblait être la maitresse de maison parlait à ce que je prenais pour des esclaves, leur donnant des recommandations dans le but de préparatifs festifs.
J’aperçus un jeune homme d’une quinzaine d’années, plutôt grand et solide mais au teint aussi pâle, si ce n’était plus, que le mien. Ses yeux étaient d’un bleu étonnant, pas un bleu clair commun, mais bleu comme l’océan; profond et énigmatique. Sa chevelure noire de geais contrastait parfaitement avec la pâleur de son visage et la beauté de son regard. Il portait une toge blanche Je restais stupéfaite par cette beauté si singulière, quelqu’un l’appela « Titus Junius Livius ».
Soudain une ombre passa, devant mon visage et c’est en sursaut que je m’éveillai, j’aperçus sur la rive opposée ce qui semblait être une silhouette.
Persuadée que c’était la maladie qui me donnait des hallucinations je fermais les yeux, secouai la tête avec vigueur, dans l’espoir de remettre en place ce qui doit l’être, et regardai à nouveau de l’autre coté du lac, où je ne vis rien.